Portraits de/of Montréal

J'ai recueilli ces histoires dans la rue ou dans un parc, parfois en quelques minutes, parfois en plusieurs heures. Ces humains de Montréal racontent leurs histoires et nous permettent un regard nouveau sur «l’inconnu» . Portraits de Montréal est un projet né en 2014 de Thibault Carron et Mikaël Theimer, que j’ai rejoint en 2018.

« Ma soeur et moi, on est nés avec une forme de nanisme très rare, une maladie orpheline complètement inconnue. Ma mère a eu ma sœur en premier et les médecins ne savaient pas ce qu’il se passait. Les médecins ont dit à ma mère que les chances d’avoir un autre enfant avec cette maladie-là étaient quasi nulles. 20 mois plus tard, j’arrivais avec la même condition. »

« Je suis née en Ukraine à Tchortkiv et j’ai immigré au Canada il y a 12 ans avec ma famille. Nous avons quitté l’Ukraine à l’époque parce que la situation politique et économique était mauvaise. Ça ne changeait pas, ça ne s’améliorait pas, surtout pour les jeunes familles. En Ukraine, même en travaillant fort tous les deux, on ne pouvait pas s’offrir ce qu’on voulait. C’était très difficile. »

« Quand j’ai eu ma fille l’année dernière, j’ai réalisé à quel point la pression pouvait être grande sur les épaules des mères. On porte notre enfant 9 mois, le poids autant physique que mental est sur nos épaules, même si nos partenaires sont très présents, comme ça l’a été pour moi. Et tout ça continue avec l’accouchement, mais aussi après avec l’allaitement par exemple. »

« L’été dernier, j’ai eu une relation amoureuse avec un narcissique. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marquée, mais heureusement mon hypersensibilité m’a tout de suite envoyé des avertissements. C’est une histoire banale: on a matché sur Tinder, mais au bout de quelques jours je voyais que ça n'allait pas très loin. Finalement, il m’a expliqué qu’il n’était pas à l’aise sur les applis de rencontre et ça m’a attendrie. »

« La première fois qu’on s’est rencontrés, on était en visite mon frère et moi à Montréal. On s’est tout de suite trouvé beaux, on se parlait beaucoup. Une fois de retour en France, j’ai écrit à Sacha en lui disant que je l’aimais beaucoup et que j’espérais qu’on se reverrait un jour. Si on avait su ce qui nous attendait! »

« Il y a 3 ans environ, j’avais des problèmes de digestion importants, alors j’ai décidé d’aller voir mon médecin de famille. Il m’a conseillé, sans même m’examiner, de prendre des marches et boire de l’eau à cause de mon poids. J’ai dû insister pour ne pas que la rencontre s’arrête là et j’ai finalement eu des médicaments, toujours sans être examinée qui n’ont pas réglé le problème. On a fini par découvrir que j’avais des pierres à la vésicule biliaire, et pas rien qu’un peu. »

« Cette dernière année a été intense, particulièrement pour la communauté asiatique en période de pandémie. Quand ça a commencé, j’ai fait le choix de ne pas sortir de chez moi. Une fois dans la rue, j’ai entendu quelqu’un me dire 'coronavirus'. Je me suis vraiment repliée sur moi-même. Le racisme anti-asiatique, on le vit depuis toujours, mais c’est depuis peu qu’on se lève et qu’on en parle. Être une femme c’est déjà quelque chose, mais être une femme de couleur c’est presque un acte politique. »

« Comme plein d’enfants, j’ai beaucoup dessiné en étant petite. Mais chez moi, le dessin était vraiment passionnel. On pouvait me laisser sur une table avec des feuilles le matin et revenir me chercher le soir à 18h, je n’avais rien fait d'autre que dessiner. Mes parents n’étaient pas vraiment d’accord avec mon choix d’être dessinatrice donc j’ai fini par faire des études de biologie en me disant 'Si les adultes le disent…!' »

« La meilleure chose qui pouvait m’arriver c’est d’avoir un chien comme Lika. Elle est tout le temps heureuse de me voir, elle m’aime tout le temps, elle est toujours là pour moi. C’est elle que je vois en premier le matin et en dernier le soir avant de dormir. Même quand je me sens seul, elle est là. Je ne suis jamais seul en fait. La plus belle chose en ayant un chien c’est l’amitié qui se développe entre elle et moi. »

« Il y a deux ans, j’ai fait mon 2ème burn-out. Je considère que ça a été une bénédiction, quelque chose de complètement transformateur. Ça m’a permis de revoir mon mode de vie, d’apprendre à me mettre des limites à moi et aux autres. Bien sûr, ma situation au travail a joué beaucoup, mais il y a eu aussi des relations amicales devenues trop fusionnelles et qui ne me correspondaient pas. Je n’arrivais pas bien à communiquer à l’époque et malgré mes “non”, mes limites n’étaient pas respectées. »

«Le moment qui m’a demandé le plus de courage dans ma vie a été de partir de chez moi à 19 ans pour poursuivre mon rêve de devenir artiste. À 19 ans, je travaillais à l’hôpital et je passais mes journées aux côtés de personnes qui travaillaient depuis très longtemps. Beaucoup n’avaient pas l’air de s’amuser du tout. Ça m’a donné un coup de pied aux fesses et je suis partie passer des auditions à Paris. »

« Je pense que l’épreuve qui m’a le plus marquée a été mon déménagement entre la France et le Québec quand j’avais 14 ans. Mes parents, tous les deux Canadiens, s’étaient rencontrés à Paris pendant un échange universitaire et ils ont décidé de rester vivre en France et y faire deux enfants, mon frère et moi. Un jour, mes parents ont choisi de retourner vivre au Québec, dans la région de Charlevoix. À 14 ans, je l’ai vraiment pris comme une attaque personnelle, je pensais que c’était fait pour ruiner ma vie à moi. »

« Un des évènements qui m’a le plus changé dans ma vie c’est mon premier break-up. C’était ma première relation et cette rupture a été comme une espèce de déconnexion entre ma vie adolescente, où je n’avais pas de problème et d’un coup, vivre la vraie souffrance, pour la première fois. Ça m’a vraiment forcé à me poser beaucoup de questions. Je me souviens que je pleurais dans mon lit en riant tellement je trouvais ça ridicule. La douleur que je ressentais était tellement déconnectée de la réalité. »

« La question 'tu viens d’où ?' m’a souvent été posée dans ma vie. Je suis née en France, à Vichy et mes parents faisaient partie des rares familles noires du coin. Pourtant quand on me demande d’où je viens, l’intention derrière c’est trop souvent de me coller une étiquette ethnique, pour savoir « vraiment » d’où je viens. Sauf que je suis Française et mes parents sont nés à la Réunion, une île qui fait aussi partie de la France. Quand on me demande d’où je viens vraiment, on me demande surtout pourquoi je suis noire. »

« Il y a quelques temps, j’ai eu un conflit avec une amie, un conflit de valeurs. Ça a l’air niaiseux comme ça, mais son chat a attrapé un oiseau devant nos yeux et semblait bien parti pour le tuer. Elle le regardait avec curiosité mais moi, ça m'atteignait trop, alors j'ai voulu le chasser pour éviter que l’oiseau souffre. Mon amie s’est fâchée contre moi, elle disait que c’était la nature. C’est une situation qui m'a marquée et j’ai été très heurtée parce que pour moi, ça ne fait pas de sens de laisser un animal mourir quand on peut l'empêcher. »

« Je suis très attachée à combattre la grossophobie. J’ai commencé à me poser des questions quand j’avais 18 ans. Je publiais des photos de moi sur la plage, et ça me demandait tout mon courage pour le faire. J’avais un corps plus gros que celui de mes amies, et je voulais apprendre à aimer mes courbes. J’avais l’impression que mon combat allait s’arrêter au moment où j’allais commencer à me trouver belle. »

« Entre mes 11 et mes 22 ans, j’ai vécu plusieurs agressions sexuelles, que j’ai tues pendant longtemps. Puis en 2017, il y a eu le mouvement #MeToo, et maintenant la vague de dénonciations. Les choses bougent. Il a un changement générationnel aussi, les femmes sont moins seules, moins enfermées dans leurs hontes. On a des réseaux de solidarité, des outils pour dénoncer ces agressions, et on veut démonter le système patriarcal qui les rend possibles. C’est énorme ce qui se dresse en face, mais j’ai l’espoir que ça évolue. »

« La peur du rejet m’a accompagné toute ma vie : je pense que ça vient d’un évènement qui m’est arrivé en deuxième année de primaire. On jouait au ballon chasseur à la récré, et à chaque fois, les chefs d’équipe étaient ceux qui avait eu les meilleures notes et qui choisissaient leur équipe. C’était toujours la même personne qui était le chef. Et pour la première fois, un jour, j’ai eu la meilleure note, j’étais tout content. Mais on ne m’a pas donné la place de chef d’équipe. »

« Je suis né en Russie dans les années 90, d’un père congolais et d’une mère russe. Après la chute de l’Union soviétique en 1992, la Russie a changé d’idéologie, c’était un vrai chaos! Il y avait une pauvreté immense, de la violence, une grande instabilité politique. Des gangs de rue se sont formés, la mafia contrôlait la ville et les pénuries étaient constantes. Dans ce contexte de pauvreté, beaucoup de gens se sont rapprochés d’idéologies d’extrême droite et on a vu apparaître des groupes violents, des skinheads qui s’en prenaient aux minorités. »

« Ça fait 4 ans que je suis infirmière en CHSLD. Au début j’étais en centre de dépistage, puis on m’a appelée pour travailler dans un CHSLD que je ne connaissais pas. En arrivant, on m’a avertie : 'Toute l’équipe est rentrée chez elle, on a une seule personne pour 33 patients.' Cette première journée, j’ai fait 16h de travail, dans un établissement inconnu, avec des mesures de prévention, de désinfection et de protection inexistantes, sans personne à qui se référer. Il n’y avait même plus d’entretien ménager. On avait 7 cas positifs à ce moment-là. »

« Je suis migraineuse depuis l’enfance. Malheureusement, la migraine est une maladie neurologique qui n’est pas reconnue, ni par la société ni même de certains professionnels de santé, et on n’en guérit pas. Quand j’ai des migraines, je peux avoir des nausées, des troubles de la vision, des difficultés à parler, des douleurs lancinantes à la tête. J’ai compris très jeune que cette maladie était mal comprise, quand je quittais la classe pour aller voir l’infirmière et qu’elle ne savait pas me gérer. Une fois, elle m’a renvoyée avec un papier qui disait 'hypocondriaque'. »

« On est en couple depuis un an, on s’est rencontrés au travail. On se dit souvent qu’on est chanceux de s’être trouvés. C’est ultra-quétaine de dire ça, mais je pense que si ça marche bien, c’est aussi qu’on a des valeurs et des intérêts communs. Une de nos forces est de rester ouverts d’esprit, de ne pas avoir d’idées fixes par exemple. C’est important pour nous d’être capable de s’ouvrir aux autres. »

« Je viens d’Iran, je suis arrivé à Montréal il y a sept mois pour commencer mon doctorat en biologie. Les conditions d’études pour étudier dans ce domaine sont difficiles en Iran, donc j’ai dû émigrer pour poursuivre mes études ici. La chose la plus difficile dans le fait de partir, c’est le mal du pays. Ma famille et mes amis me manquent énormément. La météo n’est pas non plus très simple pour moi. »

« On est tous les trois Français et on vit tous hors de France. Moi au Québec depuis 1 an et demi, où je suis venue m’installer avec mon mari. On a acheté un condo ici et on a une vraie envie de s’inscrire dans cette nouvelle culture québécoise. C’est un projet de long terme. Mon frère et sa femme sont venus nous voir pendant les vacances et ils découvrent Montréal. »

« Quand j’étais enfant, c’était dur à l’école. J’étais en surpoids, je me faisais beaucoup moquer. Je voulais me fondre dans la masse fait que je n’ai pas eu l’occasion de réfléchir à qui j’étais. Mon homosexualité était évidente pour tout le monde sauf pour moi. Vers mes 18 ans, ça s’est affirmé et j'en ai parlé à mes parents. J’ai eu la chance d’avoir une famille ouverte, où on avait un espace pour parler. »

« Le sport représente beaucoup pour moi. Je suis quelqu’un qui a du mal à lâcher prise, sur beaucoup de choses. J’ai traversé une rupture difficile et le sport m’a beaucoup aidé! Ça me permet de souffler, de réfléchir et de me recentrer. C’est un peu comme une méditation. »

« Quand on s’est rencontrés, ça a vraiment été instantané. La première soirée qu’on a passée ensemble il m’a demandée en mariage ! Lui était polyamoureux depuis des années mais moi non, j’étais super monogame. J’ai voulu essayer, mais ça n’a pas bien marché pour moi au début. On n’était pas bien, il y avait de la jalousie. Donc on a été exclusifs jusqu’à la fin, c’est ce qui a cassé notre couple.»

« On est sœurs et on a une très belle relation. Moi je vis à Montréal depuis quelque temps et ma soeur en France. Étonnement la distance nous a rapprochées. On se parle beaucoup, j'ai pas l’impression qu’elle est si loin, à part ces fameux 6h de décalage. Cette distance qui s’est mise entre nous n’est vraiment pas mal vécue. On reste heureuses chacune de notre côté et c’est le principal. »

« Il y a quelques mois, j’ai commencé une maîtrise en enseignement et j’ai vraiment trouvé ma place. C’est plate de dire que t’es plus faite pour étudier que travailler, mais j’adore apprendre et j’ai trouvé l’endroit où les gens me ressemblent le plus. Ça faisait plusieurs années que je cherchais ça. Tout le monde a des passions, des choses qu’ils veulent faire depuis qu’ils sont jeunes, mais moi non.»

« On s’est rencontrés aux États-Unis il y a cinq ans, quand on travaillait en restauration. On avait un visa d’un an qui a expiré et c’est là qu’on a voulu voir ce qui se passait à Montréal. On a adoré la ville mais on n'a pas pu y rester malheureusement. Quatre ans après, nous voilà de retour ! On a travaillé dans différents pays et pour nous Montréal est un peu un endroit paradisiaque dans le monde de la restauration. »

« Je fais beaucoup d’efforts sur la confiance en moi depuis que je suis petite. Et ça peut être très difficile parfois! Ça demande beaucoup de patience avec soi-même et beaucoup de gentillesse aussi. Je suis une personne très gentille, je me le fais dire tout le temps par les autres, mais c’est difficile parfois de l’être avec moi-même. Je peux être très dure. »

« Il y a quelques temps, mon frère est mort d’une overdose. Il avait 23 ans. Intoxiqué par le fentanyl, qui est une drogue 50 fois plus puissante que l'héroïne et 100 fois plus que la morphine. Une nouvelle version vient d’arriver, elle est encore plus dangereuse. Je ne sais pas pourquoi ce genre de chose existe. Ça a été très dur comme période, on a grandi ensemble à Vancouver et malheureusement on avait beaucoup de conflits non résolus, donc ça a rendu les choses encore plus dures. »

« Quand j’ai eu dix ans, j’ai été diagnostiquée dyslexique avec déficit d’attention. Ça a été une grosse épreuve dans ma vie, mais ça a apporté autant de négatif que de positif. Mon rêve d’enfant, c’était de devenir patineuse artistique, je voulais même aller aux Jeux olympiques. Mais au secondaire, il fallait que j’ai une moyenne de 75 pour aller en sport-études et je n’ai pas atteint cette note ; mon rêve s’est écroulé.​​​​​​​ »

« J’ai été malade d’un cancer du côlon ; la tumeur a été à deux millimètres de percer l’intestin. Mon meilleur ami a eu cette maladie aussi, en même temps que moi. Le jour où j’ai appris ma rémission, lui est mort. C’est pour te dire comme c’est une loterie tout ça… Mais Julie a été à mes côtés pendant toute ma maladie ; elle m’a épaulé, soutenu, elle est venue à tous mes rendez-vous pendant deux ans. Je sors de ça en me disant que je suis privilégié de l’avoir dans ma vie. »

« Quand je suis arrivé ici du Portugal il y a 48 ans, j’en avais 14. À cette époque, le gouvernement fasciste envoyait les jeunes comme moi à la guerre. Mon père a commencé à partir vers l’Allemagne, puis au Canada, et il m’a appelé pour le rejoindre. Je ne parlais pas un mot de français, et je suis sorti le dernier de l’aéroport, comme un idiot, avec neuf piasses en poche.»